jeudi 29 janvier 2009

"la patience des saoudiens est à bout"par le Prince Turki al-Faisal

« A moins que la nouvelle administration américaine ne prenne des mesures énergiques pour prévenir toutes nouvelles souffrances et morts de Palestiniens, le processus de paix, les relations américano-saoudiennes et la stabilité de la région sont en danger. » L’Arabie Saoudite, qui a reçu le renfort inattendu du président iranien, lance aux Etats-Unis un avertissement pressant : « si les Etats-Unis veulent continuer à jouer un rôle de leadership dans le Moyen-Orient et garder intactes leurs alliances stratégiques - en particulier la « relation spéciale » avec l’Arabie Saoudite - ils devront revoir radicalement leur politique vis-à-vis d’Israël et de la Palestine ». Les USA doivent rapidement contraindre Israël à signer un acord de paix global sur la base des résolutions de l’ONU et du plan de paix soudien, faute de quoi, avertit le prince Turki, la situation pourrait devenir incontrôlable : « jusqu’à présent, le royaume a résisté [aux] appels [au Djihad], mais chaque jour qui passe cette retenue est plus difficile à maintenir. »

Par Turki al-Faisal, Financial Times, 22 janvier 2009

Pendant des décennies passées au service de l’Etat, j’ai été un partisan résolu du processus de paix Arabo-Israélien. Au cours de ces derniers mois, j’ai affirmé que le plan de paix proposé par l’Arabie Saoudite pourrait être mis en œuvre avec l’administration Obama, si les Israéliens et les Palestiniens acceptaient tous deux de faire de difficiles compromis. Je déclarais à mes auditoires que cela dépendrait de l’énergie déployée par la prochaine administration US, citant le mot du diplomate indien Vijaya Lakshmi Nehru Pandit « Plus nous dépensons de sueur pour la paix, moins nous versons de sang pour la guerre. »

Mais après qu’Israël ait lancé son attaque sanglante sur la bande de Gaza, ces appels à l’optimisme et à la coopération apparaissent désormais comme un lointain souvenir. Ces dernières semaines, les forces armées israéliennes ont non seulement tué plus de 1000 palestiniens, mais elles ont pratiquement tué le processus de paix lui même. A moins que la nouvelle administration américaine ne prenne des mesures énergiques pour prévenir toutes nouvelles souffrances et morts de Palestiniens, le processus de paix, les relations américano-saoudiennes et la stabilité de la région sont en danger.

Le Prince Saud Al-Faisal, ministre des Affaires Etrangères saoudien, a déclaré au Conseil de Sécurité des Nations unies qu’en l’absence de règlement juste du conflit, « nous allions vous tourner le dos ». Le Roi Abdallah a exprimé l’opinion de l’ensemble du monde arabe et musulman lorsqu’il a déclaré, à l’occasion du Sommet Arabe au Koweït, que bien que l’initiative arabe de paix soit « sur la table », elle n’y resterait pas longtemps. La majeure partie du monde arabe partage ce sentiment, et tout gouvernement arabe qui négocierait aujourd’hui avec les israéliens serait condamné à juste titre par ses citoyens. Deux des quatre nations arabes qui entretiennent des liens formels avec Israël, le Qatar et la Mauritanie, ont suspendu toute relation et la Jordanie a rappelé son ambassadeur.

L’Amérique n’est pas innocente dans cette catastrophe. Non seulement l’administration Bush a laissé un héritage atroce dans la région - allant des centaines de milliers de morts en Irak aux humiliations et aux tortures d’Abou Ghraib, mais elle a aussi contribué au massacre d’innocents, par le biais de son attitude arrogante durant la boucherie qui eu lieu dans la bande de Gaza. Si les Etats-Unis veulent continuer à jouer un rôle de leadership dans le Moyen-Orient et garder intactes leurs alliances stratégiques - en particulier la « relation spéciale » avec l’Arabie Saoudite - ils devront revoir radicalement leur politique vis-à-vis d’Israël et de la Palestine.

L’administration américaine va hériter d’un « panier rempli de serpents » dans la région, mais il est possible d’entreprendre des actions pour contribuer à les calmer. Tout d’abord, le président Barack Obama doit s’occuper de la catastrophe subie par la bande de Gaza et de ses causes. Inévitablement, il condamnera les tirs de roquettes du Hamas sur Israël.

Ayant fait cela, il devrait également :

condamner les atrocités perpétrées par Israël contre les Palestiniens et soutenir une résolution de l’ONU à cet effet ;

condamner résolument les actions israéliennes qui ont conduit à ce conflit, depuis la construction de colonies de peuplement en Cisjordanie, le blocus de Gaza, jusqu’aux assassinats ciblés et aux arrestations arbitraires de Palestiniens ;

affirmer que l’Amérique a l’intention d’oeuvrer à un Moyen-Orient exempt d’armes de destruction massive, offrant un « parapluie de sécurité » pour les pays qui y adhèrent et des sanctions pour ceux qui ne le feront pas ;

appeler à un retrait immédiat des forces israéliennes des fermes de Shebah au Liban ;

encourager les négociations Israélo-Syriennes pour la paix ;

appuyer une résolution de l’ONU garantissant l’intégrité territoriale de l’Irak.

M. Obama devrait appuyer résolument l’initiative de paix du roi Abdallah, qui demande à Israël

de poursuivre dans la voie définie par de nombreuses résolutions et lois internationales ;

de se retirer complètement des territoires occupés en 1967, y compris Jérusalem-Est, et de retourner à la ligne du 4 Juin 1967 ;

d’accepter une solution juste, déterminée en commun, au problème des réfugiés conformément à la résolution 194 des Nations unies ;

de reconnaître l’Etat indépendant de Palestine ayant Jérusalem-Est comme capitale.

En retour, il serait mis fin aux hostilités entre Israël et tous les pays arabes, et Israël obtiendrait une entière normalisation sur le plan diplomatiques et dans ses relations [avec eux].

La semaine dernière, le président iranien Mahmoud Ahmadinejad a adressé une lettre au Roi Abdallah, reconnaissant explicitement l’Arabie saoudite comme le dirigeant du monde arabe et musulman et lui demandant d’adopter une posture plus orientée vers la confrontation sur « cet insigne meurtre atroce de vos propres enfants » dans la bande de Gaza. Ce communiqué est important parce la reconnaissance de la primauté de facto du royaume par l’un de ses plus ardents adversaires révèle à quel point la guerre a unifié toute la région, chiites et sunnites à la fois. En outre, M. Ahmadinejad a lancé un appel à l’Arabie Saoudite pour mener un djihad contre Israël, qui, s’il était conduit, entrainerait un chaos et des effusions de sang sans précédent.

Jusqu’à présent, le royaume a résisté à ces appels, mais chaque jour qui passe cette retenue est plus difficile à maintenir. Quand Israël tue délibérément des Palestiniens, s’approprie leurs terres, détruit leurs maisons, déracine leurs fermes et leur impose un blocus inhumain, quand le monde déplore une fois de plus la souffrance des Palestiniens, de toute part dans le monde des hommes de conscience réclament une action. En dernier ressort, le royaume ne sera pas en mesure d’empêcher ses citoyens de se joindre à cette révolte du monde entier contre Israël. Aujourd’hui, tous les saoudiens sont des habitants de Gaza, et nous nous remémorons nettement les paroles de notre regretté Roi Faisal : « J’espère que vous me pardonnerez de laisser s’exprimer mes émotions, mais quand je pense que notre sainte mosquée de Jérusalem est envahie et profanée, je demande à Dieu que dans le cas où je me montre incapable d’entreprendre le Saint Jihad, alors je ne doive pas vivre un moment de plus ».

Nous devons tous prier pour que M. Obama fasse preuve de la vision, de l’équité et la volonté de contrôler ce régime israélien meurtrier et d’ouvrir un nouveau chapitre dans le plus insoluble des conflits.

Le prince Turki est le président du Centre de Recherche et d’Etudes Islamique King Faisal à Riyad. Il a occupé les fonctions de directeur des renseignements saoudiens, d’ambassadeur au Royaume-Uni, en Irlande, et aux États-Unis


Publication originale Financial Times, traduction Contre Info

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